Être relecteur professionnel, épisode 1 : être salarié puis freelance, le témoignage de Julie
Voici un article d’un tout nouveau genre sur le blog de l’EFLC ! Nous avions envie de vous faire connaître l’envers du décor de ce merveilleux métier de correcteur. Pour ouvrir le bal, une de nos intervenantes a accepté de se plier à l’exercice de l’interview. Dans la correction, les parcours sont souvent atypiques, et celui de Julie confirme la règle. À travers 10 questions, découvrez comment elle est devenue correctrice freelance, alors qu’elle se destinait à une tout autre carrière, mais surtout de quelle façon elle a effectué sa transition du salariat à l’autoentrepreneuriat. En bonus : elle nous donne des conseils pour bien entreprendre et trouver des clients !
1. Présentez-vous.
Bonjour ! Je m’appelle Julie Cressiot. Je vis presque à Paris (à 50 m, en Seine-Saint-Denis) et je suis originaire de la région parisienne (Val-d’Oise). J’ai 47 ans et j’ai deux grands garçons de 18 et 21 ans.
2. Comment êtes-vous devenue correctrice, Julie ?
Mon parcours n’est pas vraiment classique. Depuis toute petite, je lis, beaucoup, et de tout. J’ai eu la chance d’être entourée de beaucoup de livres. Mes parents en achetaient beaucoup, et mon grand-père maternel lisait énormément (il lisait tous les jours une page du dictionnaire, ce qui m’impressionnait). Enfant, quand je commençais à m’ennuyer, je récupérais tout ce qui pouvait se lire, prospectus publicitaires inclus… Et j’ai toujours eu cette passion pour la langue française et l’écrit. J’ai suivi un parcours plutôt scientifique jusqu’en terminale, puis j’ai tenté la première année médecine. La médecine n’ayant pas voulu de moi, je me suis tournée vers mes autres passions qui étaient le français et la littérature. J’ai fait une partie de mes études de Lettres modernes à Cergy où j’ai découvert la littérature francophone, l’ancien français, le journalisme et l’édition. Cette faculté m’a permis d’élargir mon esprit, au-delà de la littérature franco-française. Puis j’ai rejoint la Sorbonne où j’ai obtenu ma licence et mon master 1 avec une spécialité édition, mon mémoire concernant une édition critique d’un extrait d’un manuscrit du XVe siècle. N’ayant pas réussi à rentrer en master 2 d’édition, j’ai fait une année de licence 3 d’histoire en parallèle d’un stage en tant que correctrice et assistante d’édition dans une petite maison. On y numérisait des livres classiques, les remettait en page et corrigeait les coquilles des éditions précédentes pour mettre à disposition sous format numérique des textes sans fautes. C’étaient des précurseurs de la numérisation des textes classiques, mais le public n’était pas encore prêt.
Par la suite, j’ai décroché un CDI en tant qu’assistante d’édition chez un tour-opérateur. Et c’est là que j’ai vraiment appris le métier, notamment la typographie, la mise en page, le système codé de correction (papier puis PDF) et la vérification (croisée) des informations. Au bout de sept années, j’ai remplacé ma responsable et suis devenue responsable d’édition des brochures de voyage, tout en travaillant avec le service marketing, le service web et les prestataires externes (agences de création, agences de composition, photographes, papetiers, imprimeurs).
J’ai créé fin 2014 mon statut d’autoentrepreneur pour devenir rédactrice et correctrice freelance, menant de front mon CDI à temps complet et le début de mon activité d’indépendante. Puis, en 2018, après quelques désaccords entre mon employeur et moi, je me lance dans mon activité d’indépendante à 100 %. Je propose alors des prestations de graphisme, de rédaction et de correction pour des entreprises (PME, autoentrepreneurs, et grands groupes), des agences de communication, des associations et parfois même des particuliers.
Avec du recul, je ne regrette pas de ne pas avoir pu suivre une carrière médicale. Et dans ma pratique actuelle de la correction, cet apport scientifique est très important. En effet, la langue française a un côté très logique que j’ai appris lors de mes études, que ce soit dans l’évolution de la langue entre le latin et le français contemporain, en passant par l’ancien, le moyen français ou le français de la Renaissance, ou pour expliquer les différences des règles de syntaxe ou d’accords en fonction des contextes ou de ce que l’auteur·e veut exprimer. Il faut savoir à la fois être très bon en grammaire, en analyse, mais aussi comprendre le texte, se mettre à la place de l’auteur·e, sans surinterpréter, ce qui peut être parfois le piège dans notre métier.
3. Il y a tout de même un fossé entre faire médecine… et faire la correction d’un texte. Qu’est-ce qui vous a tant attiré dans ce métier de lecteur-correcteur ?
C’est tout d’abord l’amour de la langue française, de sa complexité, et ma volonté d’aider l’auteur·e à rendre son propos intelligible face à son ou sa lecteurice. Et cela, quels que soient le support ou le domaine concernés. Mon travail pour un tour-opérateur n’était pas forcément aisé, car il fallait parfois vulgariser des termes techniques du tourisme pour les rendre compréhensibles du grand public, tout en vérifiant que l’information présente dans les brochures était toujours juste. Cela concernait le choix des images d’un circuit, le contexte historique, le nombre de repas inclus, la justesse des cartes géographiques ou les petites notes sous les tableaux de prix. Et j’ai vraiment adoré ce travail de fourmi, réclamant de se poser les bonnes questions, de croiser toutes les informations et de toujours se mettre à la place du lecteur ou client final.
Par ailleurs, je suis quelqu’un de très curieux et qui aime toujours découvrir de nouvelles choses. J’apprends beaucoup par la lecture. Et le travail de correctrice me permet d’assouvir cette envie de m’instruire toujours davantage, notamment dans des domaines qui sont complètement à l’opposé de ce que je connais. C’est parfois un défi parce qu’on se confronte à un vocabulaire technique complètement inconnu (sidérurgie, BTP, médecine), ou à un style rédactionnel particulier à un secteur (juridique, marketing, etc.) ou à un client. Mais c’est tellement enrichissant que cela compense bien ce petit effort de compréhension.
4. Comment exercez-vous ce métier de correcteur ? À plein temps ? Avez-vous une activité complémentaire ?
Aujourd’hui, je suis totalement indépendante. Je fais beaucoup de rédaction pour les entreprises en parallèle de mon travail de correctrice et d’intervenante au sein de l’EFLC. Notamment, j’interviens dans les CSE des sociétés pour prendre en charge la rédaction des PV de réunion. C’est passionnant ! Vous êtes au cœur de la stratégie de l’entreprise et des relations humaines.
5. Quelles sont, selon vous, les qualités qu’il faut avoir pour devenir correcteur indépendant, notamment pour obtenir des missions ?
J’ai eu la chance de tisser un réseau pendant mes 16 années de salariat, ce qui m’a permis de trouver facilement des missions au début. Mais je dirais qu’il faut avant tout avoir un grand sens du contact. Il faut se lancer, oser aborder les gens. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de tenter sa chance en frappant à la porte des entreprises pour leur proposer ses services.
Une autre qualité est la gestion des missions, l’organisation. L’avantage quand on est indépendant est qu’on peut travailler quand on veut. Et bien souvent, on fait beaucoup d’heures. On peut faire face à des surcharges de travail en compensant le soir, le week-end et parfois même la nuit. Cela m’arrive régulièrement dans l’année, il y a en effet certaines périodes qui sont plus surchargées que d’autres.
Enfin, plus spécifiquement par rapport au métier de correcteur indépendant, je pense qu’il faut être particulièrement rigoureux et savoir respecter les délais impartis. Et il faut savoir rester assis derrière un ordinateur pendant des heures !
6. Quels sont vos domaines de prédilection, vos sujets favoris ?
Je ne relis jamais de littérature, je garde cela pour mes loisirs. Je préfère relire les travaux d’étudiant·es, les notices techniques ou des dossiers de communication (ministères, entreprises), des brochures de voyages, bien sûr, mais aussi des livres pratiques ou pédagogiques.
7. Vous abordez donc des sujets variés à travers vos missions. Qui sont donc vos clients ?
Je travaille principalement pour des petites ou grandes entreprises, des agences de communication ou des autoentrepreneurs, mais aussi parfois pour des ministères, quels que soient les domaines.
8. Y a-t-il un monde entre l’idée que vous aviez du métier de correcteur et la réalité ?
Je crois que je ne me faisais pas forcément d’idée sur le métier. Je n’y ai jamais réfléchi. C’est un métier qui requiert d’être particulièrement méticuleux, voire perfectionniste, et cela me correspond tout à fait. Ce travail m’impose de me poser, de me concentrer, alors que je suis quelqu’un qui déborde d’énergie.
9. Quel conseil donneriez-vous à ceux ou celles qui veulent devenir correcteur professionnel ?
Je leur conseille de rester ouverts, humbles devant leur commanditaire, curieux aussi. Ils doivent aussi prendre en considération la charte imposée, qui parfois vient à l’encontre des normes typographiques françaises. C’est pourquoi il est important de bien répondre aux attentes de son commanditaire, et de discuter avec lui des écarts qui pourraient être constatés. Enfin, la langue française accueille des registres lexicaux très divers. Ne cherchez pas à réécrire à tout prix un texte volontairement vulgaire ou oral. Le respect de l’auteur·e et de son style est primordial.
10. Que souhaitez-vous ajouter à l’adresse de tous les futurs correcteurs qui vous lisent ?
Je trouve que le métier de correctrice est très épanouissant. Par ailleurs, il est en constante évolution. Les règles de grammaire se sont modifiées en 40 ans, et c’est bien normal ! Notre langue est vivante et elle évolue avec notre société, mais aussi toutes celles qui forment la francophonie. Et je ne parle pas de l’influence des autres langues sur la nôtre. Et loin d’être un problème, c’est une véritable richesse.
Merci à Julie pour sa disponibilité et ses réponses pertinentes qui, nous l’espérons, vous auront permis de mieux comprendre qu’il n’y a pas une seule manière d’être relecteur : on peut être salarié, puis devenir correcteur indépendant, adorer les sciences mais quand même s’épanouir dans ce métier, où l’on ne s’ennuie jamais.
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