Morgan Audic professeur et auteur de thrillers

Accueil 9 Non classé 9 Morgan Audic professeur et auteur de thrillers

« Un correcteur professionnel a l’œil sur tout ce qu’un amateur ne voit pas »

Professeur d’histoire-géo d’un côté, auteur de thriller de l’autre, Morgan Audic combine ses deux passions depuis plusieurs années. Ce Rennais d’adoption, né à Saint-Malo en 1980, qui a passé son enfance à Cancale, choisit de placer ses récits bien loin de sa Bretagne : le premier dans l’univers des contes, le deuxième à Tchernobyl, et le prochain en terres froides… Autant dire que son lecteur-correcteur doit maîtriser à la fois la langue française et la culture. 

« À force de lire les copies d’élèves bourrées de fautes, j’ai des doutes sur l’orthographe »

Quand j’étais jeune, les dictées n’étaient pas trop mon fort, mais je me suis amélioré avec le temps, en devenant prof, en lisant et en écrivant davantage. Aujourd’hui, mon niveau est plutôt bon, même si je fais toujours des fautes, même si je connais mieux les règles. On se déforme aussi : à force de lire les copies d’élèves bourrées de fautes, ou d’écouter les informations à la radio où l’on ne manie pas toujours bien la langue française, ça m’arrive d’avoir des doutes sur l’orthographe de certains mots. C’est l’effet inverse de la lecture !

« Une dictée avec des centaines de milliers de mots » 

Ensuite, je relis énormément mes livres, une trentaine de fois, et pourtant on trouve encore des fautes à chaque nouvelle lecture. Un livre, c’est un genre de dictée avec des centaines de milliers de mots, et il y a toujours des erreurs qui restent !

Moi, je suis très long en écriture, je construis tout, l’intrigue, les personnages, etc., je fais beaucoup de recherches sur les lieux, sur l’histoire. Je suis très influencé par ma formation de professeur d’histoire-géo. Les recherches, c’est vraiment moi qui les fais, c’est au cœur de ma profession d’historien. C’est comme tirer un fil, une trouvaille en amène une autre, c’est une sorte de voyage. Pour le livre sur Tchernobyl, je me suis intéressé à tout ce qui avait été écrit autour du sujet : la technologie, les impacts sur les humains, sur la nature, sur la science, etc. Plus on cherche, plus on trouve.

Morgan Audic - Auteur et correcteur

Le correcteur peut apporter des précisions, c’est ça qui est intéressant : j’avais fait une petite erreur sur les pays de l’ex-URSS, et il l’a repérée. Si le correcteur a un doute sur une information, il fait une proposition. Dans ce cas, je vais vérifier pour être sûr, surtout quand ça concerne mon domaine, l’histoire.

« Un lecteur m’a dit qu’il manquait un mot »

La faute qui m’a le plus marqué, c’est quand un lecteur m’a dit qu’il manquait un mot dans mon livre. Il avait été relu, par moi, par mon éditrice, par le correcteur. On a zappé, nos cerveaux ont dû boucher le trou ! Idem avec un mot écrit deux fois de suite. C’est étonnant comme ça peut être invisible ! D’où l’intérêt d’avoir le plus possible de personnes qui relisent, surtout un correcteur qui lit de manière systématique, avec une grille de lecture. Malgré tout, il reste toujours une ou deux fautes. Ou bien il n’y en a pas, mais les lecteurs ne connaissent pas la règle et croient qu’il y a une faute, comme pour les accords des adjectifs de couleur.

Il y a toujours un lecteur qui aime pointer les fautes d’orthographe. On est un peu agacé parce qu’on n’aime pas être pris en défaut. On est vexé, mais ça nous rend service pour les réimpressions.

« Un correcteur, c’est comme une personne qui nous prépare un parachute  »

J’attends d’un correcteur un regard frais, parce que je lis et relis beaucoup mes textes, mais j’ai besoin de quelqu’un qui se concentre sur la forme. Quand j’écris les premiers jets, je suis à fond sur l’histoire, puis je réécris en m’attachant au style. L’orthographe, c’est encore autre chose. Quand je donne des conseils à des écrivains, je dis toujours : « Ne polissez pas votre texte au départ, ça va tellement changer à la fin que c’est presque du temps perdu ! » La conséquence est que je garde certaines scories parce que je ne les vois plus… Ça me rassure que quelqu’un relise pour sentir quand le style peut être amélioré. C’est comme une personne qui nous prépare une voiture pour une cascade, ou un parachute, c’est tranquillisant.

Je n’ai jamais eu de souci avec un correcteur qui me proposerait de mauvaises réécritures. Si j’ai écrit un dialogue où un personnage parle volontairement mal, de manière orale, le correcteur le voit bien. La plupart du temps, les reformulations sur le style que l’on m’a proposées, je les trouvais intéressantes. Au début, je mettais beaucoup de points-virgules, mais je n’étais pas au point sur la règle ! Donc, maintenant, je mets plutôt les deux-points.

« Une personne qui sait voir les pièges  »

Le travail du correcteur va au-delà du traitement de texte automatisé, comme un logiciel d’orthographe. J’ai envie que la personne sente le texte, qu’elle soit force de propositions. C’est quelqu’un qui a pris le temps de comprendre ce qu’on voulait faire, qui a pris le temps de se plonger dans notre univers. Elle voit des détails qu’on ne voit plus. Ça peut arriver que l’éditeur et moi passions à côté de quelque chose. Pour mon premier roman, j’avais changé les prénoms des personnages au dernier moment, et il en restait un ancien. C’est l’intérêt d’avoir un correcteur performant, pas juste quelqu’un qui s’y connaît un peu en orthographe et en grammaire, mais une personne qui a l’œil, qui sait voir les pièges dans lesquels un auteur peut tomber.

« Le correcteur est un expert en plus  »

Quand on en est au stade de la correction, c’est qu’on a déjà relevé avec l’éditeur tout ce qui pouvait ne pas fonctionner du point de vue de l’histoire, du style. Par exemple, dans mon premier roman, tous les personnages avaient la même façon de parler. Écrivain, c’est plusieurs métiers dans le métier : être bon en orthographe, en grammaire, développer un personnage, une intrigue, un dialogue, avoir un style. Il faut plein de compétences différentes et on n’est pas toujours bon dans tous les domaines. D’où l’intérêt d’avoir des personnes qui s’attachent à une partie du métier en particulier : l’éditeur sur l’histoire et les lecteurs, le correcteur sur les règles. Ce sont des experts en plus, l’éditeur est expert de la narration, le correcteur expert de la langue.

« Un correcteur professionnel a l’oeil sur tout ce qu’un amateur ne voit pas  »

Les lecteurs et correcteurs amateurs vont toujours trouver des choses à corriger, mais le correcteur professionnel a une approche différente, systématique, il va avoir l’œil sur tout ce qu’un amateur ne voit pas. Il y a une question d’engagement aussi, un professionnel est beaucoup plus engagé, il va quadriller le texte.

Je donne souvent le roman à lire à des amis profs : ils passent à côté des fautes que ni moi ni l’éditrice n’avons remarquées, et qu’un correcteur va trouver. Sa formation fait que certains points font « tilt » tout de suite : les signes de ponctuation, les virgules au bon endroit, les accords complexes, comme les couleurs : tac !, il fait attention. Il sait où sont les pièges, il ne tombe pas dedans. C’est la même chose sur les informations : il va sentir où l’auteur peut déraper pour avoir été trop rapide sur les recherches, où sont les sources d’erreur. Il les repère plus systématiquement.

Quand je donne un texte à un ami, j’attends plus un retour sur son émotion : est-ce que ça marche ? Est-ce qu’en tant que lecteur il est embarqué dans l’histoire ? Pour un premier livre, on n’a pas le statut d’écrivain, le proche juge le texte mais vous juge aussi, il va être davantage dans l’empathie. Pour moi ces deux lectures ont des utilités différentes : le lecteur ami est sur l’émotion, le correcteur est un pro qui a l’œil. Je l’ai découvert une fois entré dans une maison d’édition, mais ça peut être précieux de l’avoir avant. Ça a ses avantages : c’est rassurant de faire lire un livre pour le fond, mais aussi pour la forme, avant de l’envoyer à des éditeurs, parce que la concurrence est rude.

« Mes deux activités se nourrissent  »

Avoir deux activités, professeur et écrivain, c’est à la fois un avantage et un inconvénient. Un inconvénient, parce que j’ai besoin de longues plages de temps qui se suivent pour ne pas perdre le fil. Avec mon lycée, j’ai trouvé un arrangement, et j’ai des journées entières libérées. De l’autre côté, l’avantage, c’est que l’écriture – et sans doute la correction –- est un exercice solitaire. On peut facilement se déconnecter de la réalité. Pour moi, ce métier d’enseignant me raccroche au réel. Ça me permet aussi d’enrichir mon livre, parce que je peux avoir des idées en préparant un cours. Il y a une séparation nette entre les deux, et à la fois, les deux se nourrissent. L’écriture, ça donne une respiration, ça ouvre sur autre chose. J’imagine que, pour un correcteur, relire un texte, c’est peut-être comme chercher un trésor : “Qu’est-ce que je vais trouver ? Est-ce que je vais être embarqué ?”

« Parfois le correcteur écrit mieux que moi  »

Je trouve vraiment ce travail de correction hyper important, moi ça me rassure énormément d’avoir des correcteurs. Je suis un peu désolé quand je vois que certaines maisons d’édition se passent de leurs services, ou font appel à des étudiants ou des professeurs de français, sans formation particulière en ce qui concerne la correction de manuscrits, car ça fait baisser la qualité.

Beaucoup d’écrivains amateurs ont l’illusion que tout vient d’eux : “Pourquoi prendre un éditeur ? Pourquoi prendre un correcteur ?” Mais moi, je sais que mon deuxième roman n’aurait jamais été aussi bon sans correcteur. Il y a même des fois où je trouve que le correcteur a mieux écrit que moi ! On ne peut pas toujours être au top sur toutes les pages, surtout quand on écrit de longs récits, sur 600 pages. Et quand j’ai lu sa proposition, j’étais super content : c’était ce que je voulais dire ! Il avait trouvé la bonne formulation. J’ai d’ailleurs demandé à garder ce correcteur sur mon prochain livre. »

À lire :

De bonnes raisons de mourir, Albin Michel, 2019. Étoile 2019 du meilleur polar – Le Parisien, Prix Découverte Polars pourpres 2019 et Prix des lecteurs Le Livre de Poche Polar en 2020

Trop de morts au pays des merveilles, éditions Rouergue noir, 2016.

 

https://www.lerouergue.com/catalogue/trop-de-morts-au-pays-des-merveilles-0

https://www.albin-michel.fr/de-bonnes-raisons-de-mourir-9782226441423

0 commentaires

Soumettre un commentaire